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Mieux qu'une Bugatti...Par SchiffLa perte de tout sens critique est l'une des caractéristiques essentielles des sujets atteints d'Amilcarinite.Toutefois, il arrive que certains d'entre eux, au prix d'un effort surhumain, parviennent à critiquer d'un œil presque lucide leur attitude, celle de leurs congénères voire même à juger sereinement le principal facteur de propagation du virus : l'Amilcar. Témoin cette analyse signée d'un fidèle à la marque après quarante ans d’utilisation intensive. Le quatre cylindres Amilcar de 1.100 cc attelé à un demi châssis supportant une caisse élémentaire fait pâle figure à côté du rival de son époque le Salmson à arbre à cames en tête. Soupapes latérales, longue course et bielles rachitiques, vilebrequin livré à lui-même entre deux paliers seulement, graissage par barbotage sur les premiers modèles (dépourvus de freins avant), le moteur semble avoir été conçu pour inquiéter son propriétaire. Et si un inconscient devait prendre le volant, la mauvaise volonté du système de refroidissement - ni pompe à eau ni ventilateur - aurait vite fait de lui donner des vapeurs (au propre comme au figuré). L'embrayage n'a jamais pu choisir entre le patinage et le matraquage de la boîte de vitesses. Les freins ne sont jamais aussi bons que sur la voiture qui précède dans la file. La tenue de route est «sensationnelle» pour le spectateur assistant aux glissades et aux écarts imprévus, bien à l'abri d'une solide protection. Le conducteur, quant à lui, ne peut ignorer que seule une prudence de sioux pourra parer à la souplesse du châssis et à l'absence de différentiel. A l'époque les ponts auto bloquants n'étaient guère connus mais les ponts «auto-glissants» étaient moins chers que le différentiel. Réglons une fois pour toutes la question des performances. Légendaires, à proprement parler. Les aveux d'impuissance sont pourtant rares parmi les Amilcaristes qui auraient bien tort, avouons-le de faire perdre la face à la marque. C'est pourquoi il vaut la peine d'épingler cet appel au secours, ingénument iconoclaste, publié par un propriétaire anglais malheureux : «J'ai toujours cru, que les CGSS (châssis grand sport surbaissé) étaient vendues avec une vitesse garantie de 75 miles à l'heure. A cette époque, il n'y avait certes pas de contrôle de la publicité, mais tout de même : pourquoi m'est-il impossible de dépasser 65 miles à l'heure en descente, avec vent arrière ? Quelqu'un possède-t--il une CGSS capable d'atteindre les 75 miles à l'heure promis ?». L'auteur de cet appel angoissé perd sans doute de vue que ce qui compte en Amilcar, c'est «l'impression d'aller vite». L'Amilcar n'est pas de l'automobile ordinaire. La carrosserie toujours un peu juste, serre sous le bras droit. Le coude qui forme un aileron naturel prend la température de la campagne. Des filets d'air frais agacent le cou du conducteur, mais à la moindre côte une chaleur d'étuve monte de dessous le tableau de bord. Leviers de frein et de changement de vitesse s'emberlificotent dans le bas du pantalon. Encore heureux que le constructeur ait prévu d'installer le passager quelque peu en arrière. Dans cette position effacée, ses jambes ne sont pas plus encombrantes que ses commentaires étouffés par le bruit de la mécanique et de l'échappement. On recommande d'ailleurs l'usage de la deuxième vitesse, particulièrement geignarde, pour dispenser de répondre aux remarques impertinentes. Ainsi à l'abri de toute distraction, le contact est parfait avec la route et les éléments naturels. On n'en est que plus à l'aise pour apprécier la souplesse d'un moteur dont certains tracteurs agricoles se régaleraient, pour jouir d'une maniabilité de scooter et surtout pour «prendre son pied» avec d'autres Amilcar. Car là réside le fin du fin. Plaisir d'Amilcar ne se prend que partagé avec des congénères. Roue dans roue, le nez dans l'échappement de l'autre, la main et le pied gauche prêts à répondre par un changement vitesse rapide aux changements d'allure du peloton. Et c’est alors qu’on comprend ce qui a fait la réputation inusable de la marque, en compétition et ailleurs. Rien ne prédestinait ce moteur sur papier un peu primaire, à se mesurer avec plus modernes que lui. Pourtant, il a du couple à revendre, et il ne demande qu’à monter dans les tours. On découvre qu’un châssis peut bien se tordre un peu, pourvu qu’il soit léger, et que, tous comptes faits, si on sait les régler correctement, les freins sont largement suffisants. D’ailleurs, dans les épingles à cheveux, à condition de savoir le manier, le pont sans différentiel ralentira plus qu’il n’en faut. La Bugatti du pauvre? Que demander de plus ? Schiff |